Public sous trois cercles lumineux suspendus, éclairage tamisé.

Musiques-Fictions / Ircam

Jacques Vincey / Daniel Jeanneteau / Thierry Bédard

2020
présentation

          Musiques-Fictions est la collection que lance l’Ircam en 2020 : un programme où la création musicale est en prise directe avec la fiction littéraire. Ces musiques-fictions agencent un texte, en priorité celui d’une auteure contemporaine, une musique originale liée aux sens de la fiction, un metteur en scène et des acteurs. Musiques-Fictions entend renouveler le genre de la fiction radiophonique ou du Hörspiel, en dépassant la simple illustration sonore du récit ou du dialogue. Dans un espace immersif, sous le dôme de diffusion ambisonique, où l’imagination est sollicitée par l’environnement sonore créé, l’auditeur est convié à une écoute partagée.

 

distribution

Direction de la collection Musiques-Fictions Emmanuelle Zoll
Conception du dôme ambisonique Ircam
Lumière Juliette Besançon
Scénographie Claudio Cavallari et Lenaic Pujol
Ingénierie sonore Jérémie Henrot, Clément Marie

Photo de couverture © Quentin Chevrier

          Pour ma première collaboration avec l'Ircam, j'ai travaillé sur sept pièces sonores très différentes les unes des autres. Les spectateurs, disposés sur des chaises pivotantes, sont placés sous le dôme ambisonique. La scène devient alors immatérielle, seul le public semble exister physiquement. L'enjeu en lumière était donc de jouer avec ces corps en présence, de placer le spectateur au cœur de l'expérience sans perturber son écoute. J'avais également à cœur de créer des atmosphères différentes pour chaque Musique-Fiction. A partir d'une même implantation, j'ai imaginé plusieurs dramaturgies lumineuses distinctes. Sans jamais illustrer l'action, j'ai tenté d'accompagner les sensations que nous procure l'écoute d'un texte et d'une composition musicale dans ce dispositif immersif. Entre 2020 et 2022, j'ai travaillé sur les projets mis en scène par Jacques Vincey, Daniel Jeanneteau, Thierry Bédard, Anne Monfort, Anne-Laure Liégeois, David Lescot et Julia Vidit. Voici une présentation des trois premières pièces.

Juliette Besançon

Public sous trois cercles lumineux suspendus, éclairage froid.
Le dôme s'habille de lumière © Quentin Chevrier
Cinq personnes masquées discutent, lumière froide en douche.
En discussion avec Cyril Beros, directeur de production à l'Ircam © Quentin Chevrier
Public sous trois cercles métalliques suspendus, projecteurs disposés en cercle au-dessus d'eux, lumière bleue intense.
Les sons imprègnent l'espace © Quentin Chevrier

Les Musiques-Fictions sont des œuvres sans corps. Cela nécessite, pour qu’une dramaturgie naisse, de rendre tout le reste acteur, soit : le son et la lumière. Au son c’est l‘Ircam qui s’y colle à merveille et à la lumière, c’est la révélation Juliette Besançon qui apporte une autre forme d’écoute.
Nous sommes donc assis sur des chaises pivotantes sous le « dôme ambisonique ». Pour le dire directement et simplement ce dispositif « recourt au principe de spatialisation sonore, fondé sur un système de contrôle de la diffusion des sons et de leur localisation dans l’espace. La multiplication des haut-parleurs permet de reproduire une situation d’écoute proche de celle du monde réel ». Il y a donc au dessus de nous des cercles qui seront éclairés ou non sur lesquels sont attachées les enceintes. Nous ne les voyons presque pas. Le son est invisible en grande partie. C’est seulement quand la lumière baisse qu’il se voit. Ce pas de deux entre le son et la lumière marche à merveille. Aucun n’empiète sur l’autre et tous les deux, dans des jeux de pénombre et de silence, de projecteurs et de grands éclats servent la voix des acteurs.

Amélie Blaustein Niddam, Toute la culture, 19/11/2020

Musique-Fiction n°1 : Naissance d'un pont

          Naissance d’un pont de Maylis de Kérangal est une réflexion sur les effets collatéraux de la mondialisation. Ce livre part d’une ambition à la fois simple et folle : raconter la construction d’un pont suspendu quelque part dans une Californie imaginaire à partir des destins croisés d’une dizaine d’hommes et femmes, tous employés du gigantesque chantier. Un roman-fleuve, «à l’américaine», qui brasse des sensations et des rêves, des paysages et des machines, des plans de carrière et des classes sociales, des corps de métiers et des corps tout court.
Kerangal a choisi son camp, son étoile : les mythes. En un clin d’œil, ce flux migratoire vers “un chantier à trois milliards de dol” devient une deuxième Ruée vers l’or, l’arche de Noé, une odyssée entièrement tendue vers la réalisation d’une entreprise pharaonique.

 

distribution

Texte Maylis de Kerangal
Musique et réalisation Daniele Ghisi
Direction d’acteurs, adaptation et réalisation Jacques Vincey
Adaptation Emmanuelle Zoll
Ingénierie sonore Jérémie Henrot
Conseiller scientifique CNRS-STMS Thibaut Carpentier
Avec les voix de François Chattot, Marie-Sophie Ferdane, Laurent Poitrenaux

Coproduction Ircam / Les Spectacles vivants-Centre Pompidou ; Centre dramatique national de Tours

Public sous trois cercles métalliques suspendus, tubes lumineux au sol les entourent, lumière froide et contrastée.
© Quentin Chevrier

          Le dôme ambisonique mis au point par l’Ircam repousse les bornes du possible, déplace les seuils de perception et ouvre des espaces vierges à notre sensibilité et notre imaginaire. Ce nouveau médium exige de nouvelles pratiques pour pouvoir envisager de nouveaux usages. Notre enjeu est donc d’explorer les pistes qui modifieront nos habitudes de lecteurs, de spectateurs et d’auditeurs. La diffusion à 360° brouille les repères spatiaux tout en accentuant une sensation de réalité : on entend « comme dans la vie » mais on ne peut voir aucune image (« comme au cinéma »). L’écoute est collective et pourtant chacun est renvoyé à sa solitude. L’immersion dans ce nouveau dispositif fictionnel nécessite de s’abandonner à des sensations inconnues pour pouvoir accéder à d’autres représentations mentales et émotionnelles.

Jacques Vincey

          L’opportunité donnée par les moyens immersifs de l’ambisonique est fondamentale : il ne s’agit pas, pour moi, d’explorer des trajectoires complexes de sons dans l’espace, mais plutôt d’identifier certains mouvements archétypaux qui peuvent être répétés, pour devenir la « signature spatiale » de chaque épisode. Il s’agit de construire une expérience physique en même temps qu’un voyage littéraire.

Daniele Ghisi

Musique-Fiction n°2 : L’autre fille

          Il s’agit d’abord d’une parole, Annie Ernaux s’adresse à sa sœur. Et même s’il s’agit d’une lettre, écrite à une sœur morte avant sa propre naissance et donc jamais rencontrée, ce texte procède d’une certaine oralité intérieure : c’est un dialogue avec le silence. C’est donc un texte qui vient naturellement s’inscrire à l’endroit de l’écoute, et qui ouvre un espace d’introspection attentive. Annie Ernaux nous accueille dans le travail de construction de sa conscience, ce travail qu’elle mène avec courage et lucidité depuis tant d’années, et qui relie chacune de ses œuvres. Le travail de réalisation porte essentiellement sur les acoustiques, utilisant l’une des facultés étonnantes de l’ambisonique qui est de pouvoir restituer l’acoustique particulière de lieux dont on a pris l’empreinte, afin de nous approcher de cette forme de mémoire qui retient, sans mots, la sensation d’un espace ou d’un moment. La musique d’Aurélien Dumont est une sorte d’équivalence non verbale de la parole, elle coexiste avec l’écriture comme un autre mode d’intériorité, une respiration qui n’interrompt pas l’effort de formulation, mais le soulage en le déplaçant.

distribution

Texte Annie Ernaux
Adaptation et réalisation Daniel Jeanneteau
Composition Aurélien Dumont
Design sonore et réalisation Augustin Muller
Ingénierie sonore Sylvain Cadars
Avec la voix d’Annie Ernaux
Musique ensemble L’Instant Donné : Nicolas Carpentier, Maxime Echardour, Mayu Sato-Brémaud

Coproduction T2G — Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National ; Ircam / Les Spectacles vivants - Centre Pompidou

Public sous trois cercles lumineux suspendus, éclairage froid.
Découverte du dôme par les spectateurs © Quentin Chevrier
Public sous projecteurs disposés en cercle, lumière tamisée et chaude.
Avant de plonger dans une ambiance feutrée, dans l'écoute de la voix d'Annie Ernaux. © Quentin Chevrier

          Pour élaborer musicalement cet espace mental intime et intériorisé propre à la lecture, j’ai travaillé à partir d’un objet musical minimaliste basé sur l’orchestration d’harmoniques de flûte basse et de violoncelle avec des plaques en fonte. L’association de l’objet trouvé, quotidien, avec une instrumentation particulière construit un repère sonore aisément identifiable et ludique, qui évoque pour moi le monde de l’enfance, l’un des thèmes centraux des magnifiques mots d’Annie Ernaux. L’autre grand thème, celui de l’absence, s’exprime musicalement par la déliquescence de cet objet initial et dans sa transformation en silence habité par la corporéité des interprètes que nous souhaitons, avec Augustin Muller, faire voyager dans différents espaces acoustiques. 

Aurélien Dumont

          En faire l’objet d’une lecture par l’auteure elle-même était une sorte d’évidence, peut-être simplement parce qu’un tel texte ne peut être interprété, joué dans la distance d’une interprétation. Le faire entendre procède peut-être, encore, du geste de l’écriture, pour autant que ce soit le corps même de l’auteure qui le traverse. Le temps a passé depuis que ce texte a été écrit, qui relate des événements eux mêmes déjà anciens. C’est apporter un élément nouveau et particulièrement émouvant que de restituer, grâce aux propriétés de la diffusion ambisonique, quelque chose de la présence d’Annie Ernaux à ce moment de son existence, et dix ans après qu’elle ait écrit L’autre fille. Annie Ernaux est par ailleurs une excellente lectrice, tenant à distance ses émotions, les laissant filtrer néanmoins sans que les affects ne viennent peser sur l’expression. C’est un peu comme si elle-même était témoin de son écriture, de son besoin d’interroger par l’écrit la présence en elle de cette sœur jamais connue.

Daniel Jeanneteau

Musique-Fiction n°3 : Bacchantes

          Bacchantes de Céline Minard se déroule dans un bunker, une cave à vin hongkongaise. L’action, car il y a de l’action, s’étend aussi autour de cette cave à vin. Sept personnages sont là. Il communiquent directement ou par haut-parleurs interposés. La tension ne fait que monter ; les précieuses bouteilles se vident. Un narrateur décrit les circonstances. Celles-ci partent en vrille jusqu’à ce que tout devienne irréaliste au fur et à mesure qu’un typhon approche. La situation, l’espace et le temps qui l’entourent, deviennent tour à tour irréels ; peut-être surréels. Les personnages en perdant leur sang froid, deviennent finalement animés par une musique émergeant du stratagème dramaturgique.

distribution

Texte Céline Minard
Musique et réalisation Olivier Pasquet
Adaptation et réalisation Thierry Bédard
Ingénierie sonore Jérémie Bourgogne
Avec les voix de Bénédicte Wenders, Geoffrey Carey, Julien Cussonneau, Isabelle Mazin, Malvina Plégat, Sabine Moindrot

Production Ircam / Les Spectacles vivants-Centre Pompidou

Public sous trois cercles métalliques suspendus, tubes lumineux au sol les entourent, lumière froide et contrastée.
© Quentin Chevrier
Un spectateur entouré de tubes lumineux, éclairage froid.
© Quentin Chevrier
Deux hommes et une femme discutent sous trois cercles de lumière, éclairage froid.
© Quentin Chevrier

          Le travail d'adaptation sur l’œuvre de Céline Minard était surtout délicat à réaliser entre la voix possible d’une narratrice – ou d’un narrateur – et les voix distinctes des personnages, assez fantasques, et pour certains de plus en plus ivres, dans cette courte fiction de quelques heures, qu’est Bacchantes. Passer d’une centaine de pages à trois épisodes d’une vingtaine de minutes nécessite un travail de brute, mais j’espère avoir gardé la folie douce, ou plutôt cinglée et cinglante de l’auteure : d’ailleurs, je crois que j’ai été atteint comme mes complices de jeu par cette histoire…

Thierry Bédard

          Je ne compose que de la musique purement électronique depuis des années. Je me passionne en effet beaucoup pour les pièces qui ne sont pas interprétées par un instrumentiste et qui arrivent à l’auditeur le plus directement possible. Il réside en moi d’insondables questions de causalité dans la chaîne de transmission de l’information : que faire d’une pièce générative sans début, ni fin, avec une infinité de versions possibles ou parallèles ? Doit-on justement en faire quelque chose ? Doit-on la jouer dans des musées l’après-midi, des salles de concert le soir, des night-clubs la nuit, ou finalement au casque pour soi-même ?

Olivier Pasquet

Deux cercles métalliques suspendus au-dessus du sol, lumière de service pendant le montage.
Deux cercles métalliques suspendus dans un théâtre, projecteurs et enceintes, lumière de service pendant le montage.
Trois cercles métalliques suspendus dans un théâtre, lignes lumineuses sur chacun d'eux, lumière de service pendant le montage.
Montage du dôme ambisonique © Juliette Besançon