Sept personnages sur une scène de théâtre claire, fond vidéo avec des nuages, ambiance lumineuse contrastée.

La Cerisaie

Anton Tchekhov / Daniel Jeanneteau

2021/2022
présentation

          Un immense domaine au sud de la Russie. Gaev et Lioubov ont laissé les dettes s’accumuler. Ils savent que la Cerisaie risque d’être vendue aux enchères lorsque Lopakhine, le fils d’un paysan qui s’est considérablement enrichi, leur propose de lotir le domaine et d'y construire des datchas, le projet leur semble aussi absurde que vulgaire... La Cerisaie sera-t-elle détruite ? Toute la Russie est notre cerisaie, dit l’étudiant Trofimov qui semble à tout moment annoncer la révolution. La dernière pièce, et la plus parfaite, de Tchekhov s’inscrit comme un rêve léger dans la mémoire, et le basculement d’un monde semble presque sans gravité dans l’immensité du temps qui emporte les êtres et les choses.

          Monter la Cerisaie au Japon, tel a été le projet de Daniel Jeanneteau. Participer à cette création, à l'équipe moitié japonaise, moitié française, était un très beau défi. Au delà de nos différences culturelles, nous avons eu le désir commun de (re)découvrir cette pièce de Tchekhov. Le Spac (Shizuoka Performing Arts Center), salle au magnifique rapport scène-salle, a été un fabuleux outil. Avec l'aide d'une équipe technique remarquable, mettre en lumière l'espace scénique pensé par Daniel Jeanneteau était une expérience riche, autant sur le plan humain qu'artistique. Au fil de la pièce, la création vidéo de Mammar Benranou m'a guidée pour créer les lumières de ce spectacle. L'évolution d'un ciel rempli de nuages, symbole du déroulement du temps et du passage d'un monde à l'autre, a été un réel appui dramaturgique. Lors de la construction des images, vidéo et lumière étaient tantôt complémentaires dans les contrastes, tantôt en accord dans les tonalités. Le plateau, une estrade panoramique d'une vingtaine de mètres de long, donnait un statut tout particulier au hors-champ. J'ai travaillé les entrées en scène des comédiens comme des apparitions, où l'on passe de la pénombre à la clarté le plus subtilement possible. L'espace mental créé par la plateforme du décor m'a inspirée. Cette maison abstraite faisant face à la cerisaie, matérialisée parmi les spectateurs, était comme une page blanche. Dans ce lieu pouvait s'inscrire les théâtralités française et japonaise, profondément différentes et si complémentaires.

 

distribution

Texte Anton Tchekhov
Traduction du texte André Markowicz et Françoise Morvan (français), Noriko Adachi (japonais)
Mise en scène et scénographie Daniel Jeanneteau
Mise en scène et création vidéo Mammar Benranou

Avec Haruyo Suzuki, Asuka Fuse, Solène Arbel, Kazunori Abe, Quentin Bouissou, Aurélien Estager, Nathalie Kousnetzoff, Katsuhiko Konagaya, Yukio Kato, Miyuki Yamamoto, Axel Bogousslavsky, Yuya Daidomumon, Yoneji Ouchi

Création lumière Juliette Besançon
Création son Isabelle Surel
Composition musicale Hiroko Tanakawa
Costumes Yumiko Komai
Traduction Hiromi Ishikawa, Yoshiji Yokoyama, Hiromi Yamada, Mariko Hara
Régie générale Tetsuro Ogawa
Régie plateau Kazumi Ichikawa, Katsunori Tsuchiya
Régie lumière Yuki Hanawa, Masayuki Higuchi
Régie vidéo Akira Takezawa
Régie son Shinobu Harada, Chisato Takeshima
Direction technique Atsushi Muramatsu
Production Aoi Keimi, Junichi Yoneyama, Toshiki Sakanaka
Régie sous-titres Takako Oishi

Production Shizuoka Performing Arts Center (SPAC) et T2G - Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National

Photo de couverture © Koichi Miura

Cinq acteurs sur un décor texturé, lumière latérale rasante
"Mon Dieu, vous nous avez donné les forêts immenses, les plaines sans limites, les horizons sans fond, et nous qui vivons là, c’est des géants que nous devrions être..." © Jean-Louis Fernandez
Six acteurs sous une lumière latérale contrastée, fausse fourrure et fond vidéo texturé
"Il vous faut toujours des géants... Ils ne vont bien que dans les contes, ailleurs, ils font peur."
© Jean-Louis Fernandez

Ce projet est né d’une proposition de Satoshi Miyagi : monter Tchekhov aujourd’hui, au Japon. C’est la quatrième fois que le SPAC m’invite à créer un spectacle avec une équipe de comédien·nes japonais·es. Chacun de ces spectacles a connu son double en France, avec des équipes françaises. Curieux va-et-vient entre deux mondes, par le biais des mêmes textes, comme une méthode de rencontre. Il y a dans La Cerisaie, depuis ce point précis du dix-neuvième siècle, une sorte de court-circuit, de raccourci qui nous renvoie à notre présent troublé, à nos interrogations, à l’angoisse diffuse qui nous travaille de part et d’autre de la planète. C’est ce point de contact avec la profondeur, l’humour et la détresse de Tchekhov que je veux explorer, avec une équipe franco-japonaise de comédien·nes brillant·es et sensibles : La Cerisaie comme un dispositif de regard sur notre présent commun, comme le révélateur de ce que nous vivons maintenant.

Daniel Jeanneteau

Une femme à la lueur de la bougie regarde un homme assis dans l'ombre.

"Ce livre, tiens, là, je l’ai lu – rien compris. Je lis, je m’endors."
© Jean-Louis Fernandez

Femme éclairée en face froide assise, deux femmes font un tour de magie à l'arrière plan

"Ici, tout ce vacarme, mon âme tremble au moindre bruit, je tremble toute entière."
© Jean-Louis Fernandez

Large plateau de théâtre surplombant des sous-titres japonais, sept acteurs dans une ambiance lumineuse froide et contrastée.

"Avant le malheur, c’était la même chose : la chouette qui ululait, le samovar qui ronflait tant que tant." © Koichi Miura

Daniel voulait une matrice pour l’acte I, une équivalence de la Cerisaie sans la représenter. J’ai eu cette vision de nuages, je suis allé au Havre filmer des nuages et j’en ai fait un traitement plastique. En voyant cela, Daniel a eu l’idée que le ciel soit là pendant toute la pièce. On a tout finalisé au Japon en ajoutant des nuages de Shizuoka. J’ai alors proposé que le ciel soit là dès l’entrée du public. Il est devenu le fond symbolique et sensible de tout le spectacle jusqu’à sa disparition lente, imperceptible, pour ne laisser voir, à l’acte IV, qu’une grande toile de fond blanche et en désordre.

Mammar Benranou

Au moment du passant le ciel se durcit, se cristallise, se dramatise. Le ciel va toujours à rebours, de cour à jardin, dans un mouvement très discret. Nous nous sommes laissés guider par Tchekhov, par son sens de l’économie dans la représentation. Son théâtre est toujours très tenu, loyal, au service d’un propos plus vaste et plus diffus qu’il veut révéler par des indices, un propos plus important que l’histoire elle-même. Le ciel en est comme la manifestation, omniprésente et subliminale, le fond secret de cette œuvre ouverte et infiniment interprétable.

Daniel Jeanneteau

Trois personnes autour d'un banc dans un éclairage bleu, femme à la face du plateau dans un point de lumière froide.

"Toujours toute seule, toute seule, et personne avec moi... Qui je suis, pourquoi je suis, personne ne sait." © Koichi Miura

Peu de pièces auront été autant jouées que La Cerisaie, depuis sa création en 1904. Et supporté des éclairages, des commentaires aussi contradictoires. Pièce-testament (Tchekhov meurt l'année même de la parution de la pièce), oeuvre charnière, La Cerisaie referme doucement une porte sur un monde agonisant, tandis qu'une autre s'entrouvre, par où pénètre, comme par effraction, l'aube d'une ère nouvelle. Aube ou crépuscule ? Tchekhov ne tranche rien. Il décrit le neuf et l'ancien, le passé comme l'avenir, avec les mêmes couleurs indécises, fluctuantes. Ses personnages ont l'allure de fantômes, d'ombres blanches, de marionnettes aux fils brisés. Leurs dialogues décousus, hésitants, laissent surgir des plages de silence, un vide soudain mis à nu où résonnent d'étranges échos. On ne peut ici s'accrocher à rien. Même la mort paraît incertaine, quand "la vie a filé, et on dirait qu'elle n'a pas commencé". Ainsi posée en suspens, la voix de Tchekhov, son murmure, ne cesse de nous interroger, avec une douce insistance.

Cinq comédiens sur une plateforme en fausse fourrure, lumière chaude et douce

"Cette cerisaie, elle est éblouissante ! Les masses blanches des fleurs, le ciel bleu..." © Jean-Louis Fernandez

Deux comédiennes rammassent un service à thé sur le sol, lumière chaude et douce

"Si je pouvais ôter de ma poitrine et de mes épaules cette lourde pierre, si je pouvais oublier mon passé !" © Jean-Louis Fernandez

          Les comédiens évoluent sur l’élégant plateau pensé par Jeanneteau. Comme toujours chez ce drogué du son et de la lumière, ces deux éléments sont très soignés. La lumière est créée par Juliette Besançon et le son par Isabelle Surel. Le décor se compose presque uniquement d’un ciel en vidéo qui noircit au fur et à mesure que la Cerisaie va être vendue.
          Dans sa mise en scène, Jeanneteau éprouve volontairement le temps qui passe dans un premier acte qui nous berce avant de grimper en puissance et de pointer du doigt que l’idée de modernité est toujours devant nous, quelle que soit l’époque, et que son corollaire, le passé, lui aussi est permanent.

Amélie Blaustein Niddam, Toute la culture, 15/11/2022

Deux femmes masquées regardent le public, sol de théâtre recouvert de fausse fourrure, lumière bleue.

"Vous voyez où sont la vérité et le mensonge, et moi, à croire que j’ai perdu la vue – je ne vois rien." © K. Miura

Une femme assise dans une lumière ponctuelle, quatre personnages autour d'elle qui dansent sur la scène.

"Ici, tout ce vacarme, mon âme tremble au moindre bruit." © Koichi Miura

Une femme assise en bord de scène s'adresse au public dans une lumière froide.

"Tous ces intelligents, ils sont si bêtes !" © Koichi Miura