Cinq personnages sur une scène, un homme et une femme assis au centre sur un carré de ciel bleu, deux hommes assis à droite sur un canapé, une femme au lointain, lumière bleutée et douce.

Les ours

Anton Tchekhov / Julie Guichard

2016
présentation

            Les ours est un projet qui rassemble les bourrus exécrables de deux comédies de Tchekhov. Dans ces histoires qui se succèdent, le désir amoureux, parce qu'il désamorce une forme d’immobilisme autant qu'il précipite la perte, raconte le paradoxe d'une humanité aussi désespérément grotesque que sublime.

          En créant les lumières du spectacle Les ours, j'ai eu la sensation de pouvoir amener plusieurs ambiances lumineuses, pour éclairer l’éclatement progressif du plateau, tout en soulignant pour chaque pièce les relations mises en jeu. J'ai souhaité que la lumière participe à la fiction, en lui imposant une couche, un relief supplémentaire, parfois en développant des aspects que le texte a choisis de ne pas prendre en charge.

 

distribution

D'après L'ours et Ivanov d'Anton Tchekhov
Mise en scène Julie Guichard
Collaboration artistique Perrine Gérard
Scénographie Camille Allain Dulondel
Lumière Juliette Besançon
Son Guillaume Vesin
Costumes Sigolène Petey
Avec Liza Blanchard, Joseph Bourillon, Mathieu Petit, Louka Petit-Taborelli, Manon Payelleville

Compagnie Le Grand Nulle Part

Photo de couverture © Alexandre Laillé

Un homme debout, un homme assis sur tabouret, une femme assise sur canapé, lumière ambrée dessine un carré au sol qui suit le décor.
Un homme apprend à une femme à tenir un pistolet, lumière ambrée et tamisée.
Femme assise sur canapé regarde un portrait en fumant, homme allongé sur canapé, lumière ambrée et tamisée.
L'ours © Alexandre Laillé

        Pour L'ours, je voulais que la lumière installe un espace fermé, complètement clos. La chaleur moite de l’éclairage, entre sensualité et dureté, m'a permis de créer une atmosphère propice à ce face à face dont on ignore s’il relève de l’affrontement ou de l’attirance.
Pour Ivanov, l’espace du carré central est cette fois partagé en deux. Les couleurs froides et douces enveloppent l’univers du foyer d’Anna Petrovna, tandis qu’une ambiance ouatée s’invite chez Sacha. L’éclairage permet d'imposer une frontière radicale entre ces deux lieux, tout en déterminant le passage de l’un à l’autre.
        L’espace est ensuite totalement ouvert, la lumière vient dans la salle pour englober le spectateur dans la fiction. Cette rupture forte est en accord avec le refus d’Ivanov de jouer cette pièce. J'ai fait le choix d'une lumière froide qui enveloppe radicalement la totalité du plateau. Cette brillance glaciale colore l’espace d’une atmosphère nordique. Ainsi les personnages se retrouvent dans un huis-clos étrange et cru, aussi identifiable qu’un ciel, aussi abstrait qu’il est renversé.

Femme allongée sur un canapé chante dans un micro, lumière intense sur elle, homme au lointain danse de dos dans une lumière bleue.
Ivanov © Alexandre Laillé
Un homme et une femme discutent au premier plan dans une lumière douce, autre femme à l'arrière plan dans une lumière bleue.
Femme debout avec homme allongé entre ses jambes dans un rectangle de lumière chaude, au lointain rectangle de lumière bleue qui suit le décor.

         Ce que nous traquons, c’est cette figure de l’homme rangé dans la haine par son inadéquation au monde. C'est ce qui bouleverse en bien ou en mal la mauvaise foi de ceux qui se pensent irrémédiablement seuls et lucides et qui fait de la rencontre amoureuse un déséquilibre. C'est un constant va-et-vient entre scène et salle, sans quête acharnée d'une réponse : comme on dissèque une bête sans en faire un cas général, comme on fonce tête baissée, comme un cœur qui s'emballe.

         Dans ces comédies d'ours mal léchés, les antis et les héros se valent. Le mot chien ne mord pas, se vouloir héros ne nous le fait pas devenir, se dire coupable ne sauve pas. La monstruosité pure n’entre ici jamais en jeu. Ce sont des paroles dites dans ce qu’elles ont de plus brutal et de plus franc. La succession de ces deux pièces, passées par l’accélérateur, c’est avant tout une urgence qui empêche le recul et donc la règle. Les histoires particulières sont autant de regards sur le monde auxquels on ne saurait arrêter un modèle ou une morale. Là où nous entendons que notre génération n’envisage pas l’avenir, nous préférons y chercher la multiplicité des devenirs.

Julie Guichard